ENTRETIEN AVEC ALI SAADI, PDG DE LA SOCIÉTÉ SONIT
AFRICAGUINEE.COM : Monsieur Saadi bonjour !
ALI SAADI : Bonjour Monsieur Souaré !
Le ministre de la pêche a annoncé récemment l’arraisonnement d’un bateau de votre société SONIT Pêche et une amende de deux milliards l’aurait été infligée. Quelle est l’infraction commise par votre navire ?
C’est une erreur de dire qu’il s’agit d’un bateau de SONIT. Ma société travaille depuis 24 ans, elle a toujours opéré dans les eaux guinéennes, jamais un bateau de SONIT n’a été arraisonné. Pourtant ma société en a quatre, qui opèrent dans les eaux guinéennes. Notre politique a été toujours de respecter les zones autorisées et toutes les règles en vigueur liées aux activités de la pêche. D’ailleurs je me permets de vous rappeler que depuis octobre 2013, le gouvernement guinéen a mis en place un système de licence sécurisé. Et ma société a obtenu la licence numéro un. Cela prouve que nous travaillons dans la légalité. Par conséquent aucun navire de SONIT n’a été arraisonné.
De quel bateau s’agit t-il alors ?
Il s’agit d’un bateau qui s’appelle « Zen Dras Kraft » qui appartient à un armateur Russe qui a deux bateaux qui opèrent dans les eaux guinéennes. Cet armateur russe a un accord avec Sonit pour débarquer le poisson à Conakry sous forme de vente simple. Sonit finance le besoin dont les redevances de licence et défalque le montant de la valeur de la cargaison débarquée. Par conséquent le bateau n’est en aucune façon une propriété de Sonit. L’équipage est recruté par l’armateur. Si ce dernier pèche dans des zones interdites, Sonit n’a aucun contrôle, ni de pouvoir. La mission de Sonit se limite à l’arrivée du bateau au quai du port de Conakry pour débarquer le poisson.
Qui a payé l’amende alors ?
L’amende est payée par l’armateur lui-même. Il peut demander de payer et de défalquer sur le prix de la cargaison à débarquer.
N’êtes-vous pas intervenus ?
Moi-même j’étais absent de Conakry et ma société n’a pas voulu se mêler. Elle a laissé la commission nationale d’arraisonnement prendre la décision qu’elle estime bonne.
Quelle est la nature de l’infraction commise par ce bateau ?
L’infraction commise est la pêche dans la zone interdite. Le bateau était à 47 miles alors que la zone autorisée est au-delà de 50 miles. Soit un petit écart de 3 miles seulement. Une amende de deux milliards n’est pas justifiée et ça décourage effectivement les armateurs. Parce que non seulement elle dépasse de loin le minimum des amendes selon les règles, mais un bateau qui est à 47 au lieu de 50 miles, on peut ressortir plusieurs hypothèses. D’abord comme étant juste à la limite de la zone, ensuite à la rigueur imputer cela comme une erreur de calcul de la ligne de base ou aussi une erreur humaine ou même un détour à cause des tempêtes dues à un mauvais temps. Ce qui peut obliger le Capitaine à reculer un peu. Et aussi bien évidemment l’hypothèse de fraude par le capitaine existe. Toutes ces hypothèses exigent incontestablement une sanction. Il faut le reconnaitre car normalement le bateau doit être au-delà de 50 miles s’il est ailleurs, c’est une zone interdite. La commission nationale devant toutes ces hypothèses n’a considéré que le pire à savoir, une fraude organisée par le capitaine. Ce qui à mon sens est une sanction qui n’est pas dans l’intérêt de la Guinée. En effet, le décret numéro 016 PRG du 17 janvier 2014, dans son article 2 relatif aux sanctions prévoit une amende de six cent millions à un milliard contre tout bateau constaté dans une zone interdite. Et en cas de récidivité l’amende est doublée. Cela veut dire que le décret autorise des négociations puisque le décret dit de six cents millions à un milliard. Cela veut dire qu’il y a un moyen de négocier. A condition qu’elle soit dans les limites des six cent millions et d’un milliard. Puis que ce bateau est à sa deuxième infraction, et que la loi prévoit une amende doublée en récidive, je pense que la commission d’arraisonnement aurait dû infliger un milliard deux cent millions francs au lieu de deux milliards pour laisser la chance à l’armateur de continuer ses activités dans les eaux guinéennes.
Vous considérez que la commission d’arraisonnement est allée au plus haut montant ?
Oui et je considère cela comme étant de la démagogie de la par de la commission d’arraisonnement.
Selon vous pourquoi ?
Pour montrer au gouvernement qu’elle est ferme et sereine.
Une telle sanction ne découragerait t-elle pas les armateurs étrangers ?
Elle s’en fout ! Et d’ailleurs l’armateur russe a quitté la Guinée et ne veut plus revenir dans les eaux guinéennes. Et je pense que c‘est une perte pour le trésor public guinéen.
Mais ce bateau a quand même été intercepté deux fois…
Ce sont les bateaux pirates qui pèchent sans licence qui doivent être exclus de nos eaux ; En revanche tout navire qui a une licence qui est sanctionné par des amendes selon les règles doit avoir la chance de se racheter et de rester dans nos eaux. Surtout quand la faute commise peut être imputée à une erreur humaine. Le commandant de bord des avions commettent des erreurs. Pourquoi pas un commandant de navire de pêche ?
Cela fait 24 ans depuis que vous opérez dans le secteur de la pêche. A ce jour, est-ce que vous avez eu à constater des changements positifs ?
Evidemment il y eu un changement positif et un réel progrès, mais on peut faire mieux si les opérateurs privés sont écoutés.
Pouvez-vous nous donner quelques exemples ?
Il y a eu beaucoup de progrès. Comme exemple, je commencerais par les textes et les règlements de l’exercice de la profession de pêche dans les eaux. Ensuite il y a eu le décret présidentiel qui légitime et sanctionne. Ce qui n’était pas le cas avant. Ensuite le gouvernement a instauré le système de licence sécurisée qui est géré d’une façon ferme et précieuse. Ce qui met hors d’état de nuire les trafiquants des bateaux pirates qui pêchaient avant avec des licences photocopiées, avec des dates de validité falsifiées. Le gouvernement a mis en place un système de surveillance maritime sur satellite qui surveille les côtes. Il a obligé les bateaux à installer des appareils VMS pour surveiller le mouvement de tout navire. Tout cela est positif.
En revanche je dois rappeler que le plan d’aménagement de la pêche de l’année 2014, il y a des clauses très dures qui n’arrangent pas les armateurs.
Quelles sont ces clauses ?
Je commencerais par les redevances des licences de pêche pour les navires guinéens qui ont été multipliées par trois et par cinq pour les navires étrangers. C’est énorme ! Ensuite la ligne de base permettant de délimiter les zones autorisées est floue. Et cela peut occasionner d’énormes erreurs de calculs et orienter un bateau dans une zone interdite par erreur. Et ce n’est pas exclu que ce soit le cas du bateau russe. Ensuite le quota des pourcentages de captures accessoires autorisées sur les licences n’est pas adapté à nos réalités.
Par exemple sur une licence de pêche, le bateau est autorisé à capturer seulement 0.5% de poissons hors pélagique. C’est-à-dire, mon bateau de pêche pélagique a une capacité de capture par marrée de 300 tonnes. Il est autorisé à avoir dans ces 300 tonnes seulement 0.5% de poissons en accessoire, c’est à dire une tonne et demi seulement si le bateau a 2 tonnes seulement en accessoires. Sur trois cents tonnes elle est considérée en infraction. C’est de la folie pour la simple raison que lorsqu’un bateau est dans une zone autorisée, il lance le filet, il est impossible de trier les espèces de poissons capturées, c’est pourquoi 0.5% en pourcentage est très très minime.
Quelles solutions préconiseriez-vous ?
Il faut autoriser un minimum de 5% de captures accessoires au lieu de 0.5%. Ensuite, le plan prévoit 50 dollars de taxes sur tout transbordement. C’est énorme ! Et d’ailleurs depuis le début de l’année l’Etat n’a pas reçu un seul dollar au titre de la taxe sur le transbordement. On doit se poser la question pourquoi. A mon avis, 10 à 15 dollars de taxes suffirait. Voilà quelques défaillances dans le plan d’aménagement de la pêche en dehors des points positifs que j’ai cités.
Avez-vous soulevez ces questions auprès des autorités ?
Nous les avons soulevées par l’intermédiaire de Monsieur le ministre Lonsény Camara (ministre de la pêche, Ndlr) qui nous a promis d’examiner tous ces problèmes.
Êtes-vous confiant que vos doléances seront prises en compte ?
S’il y a un gagnant, c’est d’abord la Guinée. C’est pourquoi nous espérons que les textes seront adaptés selon nos réalités. Souvent nous entendons certains responsables du secteur de la pêche dire que nous sommes surveillés par l’Union Européenne et donc de faire attention. Moi je ne suis pas d’accord par ce discours et par ce langage. Nous savons que l’Union Européenne apporte une aide précieuse à la Guinée dont nous avons besoin dans le secteur de la pêche. Notamment dans les conseils pour l’élaboration des textes. A mon avis est que les lois et textes soient adaptés, mis en application. Il appartient aux responsables du secteur de la pêche de veiller strictement à leur application, c’est tout ! Avec beaucoup de courage et un sens de responsabilité et de façon souveraine en se souvenant que la Guinée est indépendante depuis le 02 octobre 1958.
Quel est l’apport du secteur de la pêche à l’économie guinéenne ?
Le secteur de la pêche est majeur. Et la société Sonit en particulier est en train de jouer un rôle important pour l’économie de la Guinée. C’est une société qui a 4 bateaux qui lui appartiennent, d’autres bateaux en consignation. Nous payons au trésor public énormément d’argent pour les redevances de pêche, ensuite nous avons créé à l’intérieur du pays plus de 14 points de vente. Nous faisons un ravitaillement systématique très important non seulement à Conakry mais dans ses 14 préfectures. Au niveau de Coronthie à Conakry ici, nous donnons des facilités à des mareyeuses qui prennent le poisson pour le ravitaillement des marchés. Ce qui crée un certain équilibre dans la vie sociale guinéenne.
Dernière question Monsieur Saadi. Qu’est-ce que la communauté libanaise vivant en Guinée dont vous êtes d’ailleurs le président d’honneur, est en train de faire dans le cadre de la lutte contre la fièvre hémorragique Ebola qui sévit dans le pays depuis le début de cette année ?
S’agissant de la lutte contre le virus Ebola, incontestablement la communauté libanaise de Guinée a apporté un soutien financier à la commission qui gère la riposte. Au nom de la communauté libanaise nous avons apporté des aides financières pour l’assainissement des quartiers parce que l’une des précautions à prendre pour la lutte contre Ebola, c’est la propreté. Donc, nous sommes en train de jouer ce rôle et nous continuerons à le jouer jusqu’à ce qu’on finisse complètement avec cette salle maladie d’Ebola.
Entretien réalisé par SOUARE Mamadou Hassimiou
Pour Africaguinee.com